"All Saints Day in New Orleans ou quand la réalité fictionne…"



Au sortir du funérarium,  la fanfare démarre.  Les pas glissés de la first line des proches, la beauté formelle du gospel just a closer walk with tee joué par le Treme Brass Band, l’abandon dégingandé de la foule des suiveurs, la chaleur humide  sur le dos du cheval d’attelage du cercueil, les maisons créoles décrépites et surannées rencontrées sur le trajet… L’image d’Epinal  pourrait renvoyer à une Nouvelle Orléans de cliché tout aussi jaunie qu’écornée.  Et pourtant, en ce jour de Toussaint, le touriste est rare et le quartier joue sa musique pour lui-même sans spectateur extérieur ou presque. La caisse de résonnance des fondations du pont autoroutier  qui surplombe North Carrolton Street participe au son du Brass Band au même titre que le ronronnement profond  des Harley des policiers d’accompagnement. L’arrivée du cortège au Back Street Museum  pour le dépôt du mémorial du chef indien décédé se fait dans un brouhaha foutraque où tout le quartier ou presque  se rencontre sur fond de klaxon automobile bloqué, de red beans and rice servi dans l’allée et de bières sorties des glacières des camions alentour. Pour une fois, les nouveaux installés du voisinage n’auront pas latitude à appeler le commissariat. La police locale, la célèbre sinon célébrée NOPD, est déjà là, participant à la fin de procession…


 Une tout autre vision que celle qui ouvre la troisième saison du feuilleton Treme (1) dans laquelle le chanteur tromboniste Glen David Andrew (2) est conduit au poste pour tapage nocturne  lors d’une second line non autorisée. Un voisinage nouveau venant de New york ou de Los Angelès, attiré et ému dans un premier temps par la série et les malheurs post katrina, qui achète à tour de bras dans le quartier, le rénove, essaie dans adopter le mode de vie pour finalement  le rejeter et commencer à essayer d’interdire réunion de front porch et autre défilé décidément trop éloigné de l’American way of life, l’histoire ne manque en l’occurrence ni de sel ni de piment.  Le choc de culture induit partiellement et indirectement par la série va être régulièrement dénoncé dans une  3ème saison  qui dépasse dès lors son rôle initial de témoin journalistique et historique pour devenir acteur à proprement parlé de l’évolution du quartier et de la ville. Ce costume d’acteur ambivalent à la fois contempteur involontaire et laudateur militant de la situation est suffisamment unique pour réactiver l’intérêt vis-à-vis d’un  roman visuel plus connecté encore avec la réalité de l’instant. 


Au-delà de ces démêlées judiciaires fictives et  réelles, Glen David Andrew est bien en train de devenir une vedette musicale de la ville à l’instar de son cousin Trombone Shorty. Le voir en direct au DBA de Frenchmen Street chantant au milieu du public de sa voix de stentor semble un prolongement direct de son rôle dans le feuilleton.  Le morceau Long Black Line interprété par son créateur Spencer Bohren (3) dans l’épisode 3 pourrait tout faire office de bande originale tant il colle à la situation. Etre en studio avec le créateur de Jockomo, Sugar Boy Crawford accompagné de son petit fils Davell qui explique pourquoi il ne chante plus que du gospel dépasse le cadre fictionnel avec d’autant plus de force que ce grand du Rythm and Blues Louisianais décédera peu de temps après.   Retrouver Davell chez Fats Domino en quatre mains avec le guilleret propriétaire des lieux, dans ce Lower 9th Ward particulièrement malmené, nous plonge dans le cœur même d’une histoire où l’urgence de l’actualité se confronte avec l’intemporalité de la musique. 


Une intemporalité dont  le rapport au passé se lie/lit à chaque coin de  rue, à chaque bout d’épisode. L’héritage culturel choyé et poli qui passerait pour risible et passéiste aux yeux d’Isabella Rosellini  -parfaite dont le rôle de la maman  d’Annie, la violoniste-  se trouve transcendé et magnifié par l’évolution du personnage d’Antoine Batiste  joué par Wendell Pierce.  Le joyeux  tromboniste hédoniste peu concerné jusque là par une progéniture multiple se transforme progressivement en un professeur de musique entourant et préoccupé par ses élèves. Lors d’une scène particulièrement édifiante, le vieux morceau d’Osar Papa Célestin Marie Laveau(4), devient un objet de transmission d’autant plus  précieux qu’il permet à Antoine de développer  un lien quasi filial avec sa jeune élève trompettiste âgée d’une douzaine d’années. On retrouve  plus loin le duo, spectateurs attentifs d’une répétition dans laquelle les membres du Hot 8 Brass Band (5), fanfare funky s’il en est, prennent leçon avec le clarinettiste de jazz traditionnel Michael White(6). Les 3 générations unies autour d’un pot commun se passent un témoin d’autant plus précieux qu’il devient du coup synonyme de vie voire de survie. On mettra en perspective la réalité d’une fanfare  qui a perdu de mort violente 3 de ses membres en 10 ans avec le combat contre le lymphome  du Chef Indien Lambreaux ou les blessures de viol peu cicatrisées de la tenancière de club LaDonna. Des personnages certes fictionnels qui ramènent néanmoins au vécu quotidien d’une ville dans laquelle la musique accompagne en permanence un humain complexe et parfois difficilement explicable pour peu que l’on se situe en dehors du cercle de Congo Square. Comme le confirme le dialogue Lambreaux/LaDona , il vaut mieux être Mardi Gras Indians pour traduire Hey Pocky Way…


Une vie qui ne prend son sens ou son sel qu’au travers de la musique, c’est indéniablement ce que cette troisième époque de la série se plait à décrypter. Au fur et à mesure que l’urgence post Katrina s’éloigne, la brutalité factuelle et l’intrigue policière cessent d’être les traditionnels moteurs de développement  pour laisser place à un descriptif en profondeur des différents personnages. La bataille pour la reconnaissance des grandes personnalités du rythm and blues et pour la pérennité du maintien des traditions dans le quartier Treme de DJ «  WWOZ radio »  Davis est dans  la continuité de celle de la famille Lambreaux. Créations de la série,  les portraits du  père chef indien et du fils trompettiste de jazz moderne qui continuent vaille que vaille leur travail de pérennisation trans-générationnel de Mardi Gras Indians de la tribu des Guardians of Flame ne semblent pas très éloignés de la réalité de la famille Harisson(7), réelle détentrice du vocable de cette tribu descendante  de la tribu originelle des Creole Wild West(8).


Voir sur scène Antoine Batiste apporter un quatrième trombone à Bonerama est presque aussi réjouissant que l’écoute du dernier disque du groupe de Craig Klein (9). Un enregistrement en miroir de la série. She’s hurting qui ouvre le plastic a été écrit par Craig pour sa fille dont le traumatisme post Katrina a mis du temps à se dissiper. L’arrangement d’Indian Red  fait la part belle au décalage dont le groupe est coutumier. L’introduction cuivrée hors tempo et la voix de Mike Mills de REM  finissent par raccrocher le traditionnel indien via Dr John et Georges Porter. Comme si après la tempête créative, il y avait toujours besoin de se rassurer par les vertus apaisantes et roulantes de la tradition. Un 6ème album tout aussi réussie que ces 8 épisodes qui ne seront hélas suivi que d’un demi quatrième saison faute d’un succès populaire suffisant.

Integrale de la saison 3 TREME /10 épisodes/600 min environ (HBO/pal/vo sous titrée +doublée
Glen David Andrew

Auteur: Stéphane Colin (MNOPrésident)